Aujourd’hui lorsque l’on se blesse, même grièvement, nous avons la chance d’avoir une médecine réparatrice exceptionnelle, capable de nous permettre de retrouver notre intégrité physique. Mais qu’en est-il des blessures qui touchent non pas notre corps physique, cette fois, mais notre corps émotionnel, notre coeur ?
Notre “médecine” à ce niveau-là accuse encore un gros retard. La preuve ? Combien de personnes conservent des blessures émotionnelles durant des mois, des années, voire des décennies ?…
Est-ce une fatalité ? Non, fort heureusement. Il existe plusieurs approches pour arriver à cicatriser les blessures du coeur. La plupart d’entre elles comprennent un passage obligé : le pardon. Le pardon est aux blessures émotionnelles ce qu’est la cicatrisation aux blessures physiques : il signe la fin de la guérison.
En utilisant une autre métaphore, on peut aussi considérer le pardon comme la résurrection de l’amour. Lorsqu’on a été blessé ou traumatisé, notre capacité d’aimer s’est réduite, voire éteinte. Mais le jour où, d’une manière ou d’une autre, on parvient à faire oeuvre de pardon, l’amour renaît de ses cendres, avec une qualité et une force qu’il n’avait pas avant.
Des Accords Toltèques au Don du Pardon
Pour ma part, le pardon a croisé ma route de manière inattendue voici 14 ans, au Mexique, lors d’une semaine d’enseignement avec Miguel Ruiz, l’auteur du best-seller mondial Les Quatre Accords Toltèques, dont j’ai traduit tous les livres en français. Don Miguel m’a fait vivre une expérience de pardon bouleversante qui a changé ma vie. Comme beaucoup d’entre nous, j’avais des ressentiments et rancunes dont je n’arrivais pas à me défaire, et vouloir pardonner n’aboutissait à rien (sinon à me culpabiliser de ne pas y arriver…).
Pourtant, la voie que m’a indiquée Miguel m’a donné accès à ce pardon tant espéré en très peu de temps, par des chemins inattendus. Suivant la recommandation qu’il m’avait faite, j’ai relaté cette expérience dans un livre paru dix ans plus tard, aujourd’hui traduit en six langues (1).
Toujours sur la base de ce vécu, j’ai ensuite élaboré un rituel de pardon à vivre en groupe, le Don du Pardon, que j’ai eu l’occasion de faire connaître dans une dizaine de pays à ce jour. Rapidement, il s’est avéré qu’il y avait une telle demande pour vivre cette guérison du coeur qu’apporte le pardon qu’il fallait pouvoir mettre ce travail à disposition du plus grand nombre, aux conditions les plus accessibles. Pour y répondre, l’idée a alors germé de former des gens à l’animation de Cercles de Pardon, de même qu’il existait déjà des cercles de prière, des cercles de guérison, des cercles d’hommes ou de femmes, etc. Nous passons tellement d’heures en ligne, que nous avons besoin de passer aussi du temps en cercle !
Le principe d’un Cercle de Pardon, c’est qu’il permet aux personnes qui s’y rassemblent de pouvoir vivre ensemble une cérémonie de pardon en deux à trois heures maximum. Ce travail devient ainsi accessible à tout le monde : il ne demande que peu de temps et n’engage qu’une participation financière modique pour les frais associés.
Le succès de cette initiative a été immédiat : sur les six premiers mois de l’année 2013, une dizaine de Cercles de Pardon se sont ouverts en Suisse et en France, et d’autres vont voir le jour prochainement, y compris au Québec et en Belgique l’an prochain.
Olivier CLERC Cercles de Pardon : un outil pour guérir les blessures du coeur
Deux spécificités uniques
Qu’est-ce qui fait la force de cette manière d’aborder le pardon qui se pratique dans ces Cercles, inspirée de ce que m’a enseigné Miguel Ruiz à Teotihuacan ? Elle a deux caractéristiques tout à fait uniques.
Premièrement – et c’est paradoxal – on y apprend à demander pardon, et non à pardonner. Pourquoi demanderais-je pardon, si c’est moi qui ai été blessé ?? Il y a derrière ce paradoxe une clé géniale. Je ne demande pas pardon pour ce que l’autre m’a fait : de toute évidence, c’est son entière responsabilité. Je demande pardon pour la façon dont moi j’ai utilisé ce qui m’a été fait comme prétexte pour garder mon coeur fermé depuis ce temps là, pour cultiver indéfiniment rancune et ressentiments. Ce faisant, quelque chose lâche prise en moi, je me libère, je retrouve ma responsabilité et mon emprise sur mon propre coeur. Je ne subis plus, j’agis. Je n’attends pas en victime que l’autre reconnaisse ses torts : je m’occupe de ma part de responsabilité. « Le pardon est l’ultime forme de vengeance », dit un autre paradoxe qui suggère que, ce faisant, je dépouille l’autre du pouvoir que je lui avais inconsciemment donné sur moi, le pouvoir de me maintenir dans le malheur et la haine.
Deuxièmement, un Cercle de Pardon – comme une constellation familiale – est un processus transpersonnel. Cela veut dire qu’à travers les personnes physiquement présentes, des pardons vont pouvoir s’échanger avec des personnes qui ne sont pas là : d’une part des gens qui jamais ne viendraient vous demander pardon, soit qu’ils ignorent vous avoir fait du mal, soit qu’ils sont décédés, soit qu’ils s’en fichent ; d’autre part des personnes à qui vous n’auriez peut-être jamais non plus l’occasion vous de demander pardon. Ça marche dans les deux sens.
Régulièrement, il se passe des choses étonnantes. Un exemple tiré d’un cercle récent : dans la cérémonie finale, une dame d’une soixantaine d’années se retrouve avec une jeune fille devant elle qui lui dit « Je te demande pardon… » et rajoute « petite mère », sans savoir pourquoi. La dame en est bouleversée, elle fond en larmes, sent quelque chose en elle lâcher, s’ouvrir, guérir… À la fin du rituel, quand elles ont l’occasion de se parler, cette dame découvre que la plus jeune a l’âge qu’aurait eu l’enfant dont elle a avorté 27 ans plus tôt, avortement dont elle portait toujours la culpabilité. Quelque chose est passé à travers ces deux femmes, et le pardon a pu faire son oeuvre.
La douche du coeur
Le pardon lave notre coeur du "cholestérol émotionnel" qui s’est accumulé en nous et obture les artères par lesquelles s’écoule notre amour. Comme la douche que l’on prend régulièrement pour laver son corps, cette "douche du coeur" doit aussi être répétée, car nos interactions quotidiennes ont tôt fait de cristalliser en nous certaines émotions négatives non exprimées. Fort heureusement, chacun d’entre nous peut également vivre le même rituel seul chez soi, comme une méditation intérieure dont on reproduit les mêmes étapes. Au départ, c’était dans ce but que j’avais écrit Le Don du Pardon : pour permettre à chacun d’opérer cette guérison du coeur chez soi. Le groupe apporte une dimension collective et transpersonnelle très forte, mais le travail personnel est aussi très bénéfique et thérapeutique.
Au-delà de nos blessures individuelles, cette manière d’aborder le pardon laisse aussi entrevoir la possibilité de guérir un jour nos blessures collectives, celles qui concernent tout ce qui a pu se jouer entre tels peuples, telles ethnies, telles religions, etc. Je me surprends parfois à rêver de cérémonies à plus grande échelle qui viseraient non plus à guérir nos souffrances personnelles, mais à travers nous, celles qui concernent les groupes auxquels nous sommes diversement reliés. Et comme dit la chanson de John Lennon, peut-être que si nous sommes assez nombreux à rêver cela, ce rêve deviendra réalité ? (1) Le Don du Pardon, O. Clerc, Editions Trédaniel, 2010
Article paru dans la revue de Santé intégrative - n°36 - novembre/décembre 2013